🎨 J+880 - Le théorème de la Joconde
Les grands tableaux se construisent par couches successives. Et les romans, alors ?
59ème édition ! Commençons par les 3 B : Bonjour, Bienvenue, et Bonne année 😊
Ça y est, j’ai attaqué la rédaction d’un nouveau manuscrit. Je ne sais pas encore comment l’histoire finira, mais après six semaines d’idéation / planification, il était temps de se mettre à écrire.
Les débuts étaient poussifs, mais de jour en jour, je parviens à aller plus vite et à retrouver mes réflexes. Cette phase de début de projet, où on se sent rouillé, m’a évoqué une réflexion que je voulais partager avec vous : le théorème de la Joconde.
Bonne lecture !
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(Je vous laisse apprécier la qualité du montage)
La Joconde avant la Joconde
Il y a eu un moment, dans l’Histoire, où Léonard de Vinci en était à exactement 50% de ce qui deviendrait son oeuvre la plus célèbre.
Fermez les yeux, et imaginez cette Joconde à moitié terminée.
Est-ce qu’elle ressemble à l’image ci-dessus ?
Probablement pas.
Comme toutes les grandes oeuvres, passer de l’idée au résultat a nécessité beaucoup d’étapes intermédiaires : études, esquisses, croquis, avant-projets… Le tableau se conçoit comme un tout, mais se construit petit à petit.
Quand la Joconde était à moitié achevée, il n’y avait déjà plus le moindre espace vierge sur la toile. En entrant dans l’atelier à ce moment-là, un spectateur aurait donc pu découvrir, dans l’ensemble, à quoi ressemblerait le produit fini. “Dans l’ensemble”.
Mais c’est la transformation de cette vue d’ensemble en une oeuvre à même de traverser les siècles qui a encore demandé énormément d’efforts et de travail.
Par exemple, le flou du tableau est obtenu grâce à la technique du sfumato, un effet vaporeux obtenu par la superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates.
En 2010, une analyse de la Joconde aux rayons X a révélé que Léonard avait utilisé ses doigts (!) pour passer des dizaines de couches de vernis, pour certaines cinquante fois plus fines qu'un cheveu humain (!!). Le séchage des couches, puis leur superposition, est un travail qui s’est étendu sur des années.
Toute oeuvre se construit par étapes
En attaquant l’écriture de ce nouveau texte, je me suis senti bloqué, hésitant, insatisfait. C’est une sensation que connaissent tous ceux qui se sont un jour installés avec leur stylo devant une feuille vierge.
Il faut bien garder en tête que toutes les oeuvres se construisent progressivement. Ecrire du premier coup un texte du niveau d’un prix Goncourt, c’est impossible.
Parce que l’exercice comporte forcément une part d’improvisation. De nouvelles idées, de nouveaux détails surgissent en cours de scène, et sont intégrés au texte. Et c’est tant mieux : c’est ça qui rend l’écriture passionnante !
Alors oui, ce premier jet ne sera pas foufou. Mais le premier jet, c’est la matière brute. Oui, il faudra le relire, le polir, en supprimer des pans entiers... Mais c’est ça, son rôle : servir de brouillon, de dessin préparatoire.
Foncer comme un imbécile
Depuis le 2 janvier, je passe une heure à écrire tous les matins. Ce qui n’était encore en décembre que des idées en vrac dans un tableau Excel ressemble désormais aux deux premiers chapitres d’un livre, une trentaine de pages en tout.
Que valent ces deux chapitres ? Aucune idée : je n’ai encore rien relu. Pour l’instant, mon plan de bataille est simple : foncer tête baissée, comme un imbécile têtu. Dès que je me relirai, je repèrerai des problèmes, des choses à corriger. Alors il faut parfois écouter l’imbécile en soi et foncer, notamment quand on est perfectionniste. Pas de relecture : pas de problème.
L’avantage d’avancer sans se retourner, c’est que ça enlève pas mal de pression. Peu importent les tournures laides, les répétitions et les descriptions galvaudées : je règlerai ça plus tard. Un challenge à la fois.
Un dernier conseil pour la route, tiré d’Ernest Hemingway : il faut toujours terminer ses sessions d’écriture en milieu de scène. Les seuls moments où je retrouve le syndrome de la page blanche, c’est en début de chapitre. Alors, lorsque je termine un passage important, je prends cinq à dix minutes pour commencer le suivant. Quelques lignes suffisent : le lendemain, j’ai une base sur laquelle reprendre.
Conclusion
Ma Joconde personnelle est encore très loin des 50%. Même une fois le premer jet terminé, il restera encore plein d’étapes : relire, chasser les incohérences, raccourcir les scènes, améliorer les dialogues et les descriptions… Mais au moins, le livre avance !
Et vous, qu’est-ce que vous pensez de cette méthode ? Comment vous y prendriez-vous pour créer votre Joconde ? Partagez-le en commentaire 😊
J+880.
La méthode “foncer comme un imbécile” c’est aussi ce qui marche le mieux pour moi pour le premier jet !
Bonne année également !
Comme toi, je m'arrête d'écrire mon premier jet en cours d'une scène, sauf si je sais que la suite vient naturellement parce que c'est clair déjà dans ma tête. Sinon, je m'arrête là où je sais pouvoir reprendre facilement, donc en cours d'une scène c'est en effet le mieux.
Je suis d'accord, l'écriture c'est un mille feuilles où on ajoute (et retire) un nombre impressionnant de couches !
Comme le disait déjà Boileau voici plus de trois cents ans :
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Amicalement,
Georges