👀 J-65 - Une vie prodigieuse...
"La vie prodigieuse de Ruben Hieronymus" est une nouvelle que j'ai écrite l'été dernier.
Bonjour, et bienvenue dans cette seizième édition !
Cette semaine, j’ai eu envie de changer et de vous partager un texte que j’ai écrit il y a quelques mois, juste avant de me replonger dans mon manuscrit.
C’était peu de temps après avoir gagné le prix Coup de coeur du concours de nouvelles sur le thème de L’énergie en 2070, avec mon texte l’âme de la tour. Après cette première victoire, j’étais certain que ça y est, le moment était venu : mon talent ne demandait plus qu’à éclater au grand jour ! A chaque concours de nouvelles désormais, je gagnerais un prix. Fa-ci-le.
J’ai donc participé à un autre concours, sur le thème “Inconnu à cette adresse”. J’avais lu et apprécié le roman éponyme au collège, mais j’ai choisi de m’éloigner du thème original des lettres et du courrier… Au point qu’en relisant la nouvelle aujourd’hui, je me dis que j’ai fait un petit hors sujet. Est-ce que ça a joué ? Aucune idée, mais le fait est que je n’ai gagné aucun prix avec cette nouvelle.
En revanche, ça m’a plu de l’écrire, et ça m’a plu de la redécouvrir quelques mois plus tard en préparant cette newsletter. Vous la trouverez juste après les stats de la semaine. J’espère qu’elle vous plaira tout autant !
Bonne lecture, et n’hésitez pas à me laisser votre avis en commentaire 😊
Un Rêve Un Seul est une newsletter gratuite qui raconte les coulisses de l’écriture d’un roman. Pour recevoir les prochaines éditions, cliquez ici pour vous abonner :
Les stats de la semaine
Voici le résumé de l’avancement depuis la dernière édition (27 Février). Comme vous le constatez, petit relâchement, car énormément de boulot en ce moment - donc j’essaie de me ménager !
Sur le roman -
17 pages écrites (4112 mots, 6 heures)
12 pages corrigées (3 349 mots, 1 heure - aïe)
Avancement global réécriture : 77 % (+ 8% depuis 2 semaines)
Sur Un rêve un seul -
1 page écrite pour cette newsletter (300 mots, 1 heures)
0 post sur les réseaux sociaux - il semble que j’ai lâché l’affaire
Promis, j’aurai de meilleures stats la prochaine fois ! Allez, cette fois-ci pour de vrai : bonne lecture 😉
La prodigieuse vie de Ruben Hieronymus
— Avez-vous déjà entendu parler de Ruben Hieronymus ?
La jeune femme leva les yeux de son livre et tourna la tête vers lui. Le vieil homme poursuivit :
— Il habitait dans cette grande demeure, là, de l’autre côté de la route. Ça a toujours été l’une des plus impressionnantes de la ville. Mais il faut dire que tout, chez cet homme, était impressionnant. A commencer par sa destinée...
La jeune femme ferma son livre. Il sourit, content d’avoir piqué sa curiosité. Depuis quelques années, il entamait rarement la conversation avec des inconnus. Mais le charme de cette femme enceinte assise à côté de lui sur le banc l’avait poussé à sortir de son mutisme habituel. Il laissa ses yeux s’attarder sur son ventre rebondi, se demandant si ce serait un garçon ou une fille.
— Une destinée impressionnante, donc ? dit simplement la jeune femme.
— C’est peu de le dire, oui ! Mais cette histoire commence il y a longtemps, très longtemps... Ruben Hieronymus est né dans les années trente, à quelques mois du début de la guerre. C’était le fils de l’instituteur. Son père était discret, mais c’était un homme de valeur. Après l’appel du 18 Juin, il a très vite rejoint les rangs de la Résistance. Qui aurait soupçonné cet homme frêle et discret, qui venait d’avoir un bébé ? C’était un soldat de l’ombre. Un héros silencieux, mais un homme qui a fait le bien. Après la guerre, il est devenu maire du village.
— Admirable, en effet...
— Attendez, ce n’est que le début... C’est à cette époque que le jeune Ruben a commencé à faire parler de lui. À l'école, il montrait des aptitudes tout à fait exceptionnelles pour son âge. Son père n’était pas du genre à fanfaronner, et pourtant, quand il parlait de Ruben… Ses yeux s’illuminaient. Ruben fera de grandes choses, répétait-il souvent avec ferveur. Il le disait tant et tant que c’est même devenu une sorte de dicton, au village. Je me souviens que mon père disait toujours Tu verras, Ruben Hieronymus fera de grandes choses ! Et il faut l’admettre : la suite lui a donné raison…
— Oui ?
— Oui... Ruben faisait preuve d’une intelligence hors pair. A l’âge de cinq ans, il savait déjà parfaitement lire et compter. Puis, il a passé l’examen d’entrée au collège alors qu’il n’avait que neuf ans. Et il a eu le meilleur résultat de toute la région. C’est comme ça qu’il a démarré son ascension. Une ascension que plus rien n’arrêterait. Ruben a obtenu son brevet, et même le baccalauréat. C’est comme si sa soif de connaissances n’était jamais étanchée. Après le bac, il s’est tourné vers la médecine. Il a travaillé dur. Et après quelques années, il est revenu avec son diplôme de médecin en poche. Ce jour-là, son père était aux anges. Tout le village a fêté sa réussite. Personne dans le coin n’avait jamais été aussi loin. Lui aussi devenait, à son tour, notre héros.
— C’est une belle histoire…
— Oui. Il n’y avait pas autant de médecins, à l’époque. Pour Ruben, qui avait toujours été guidé par son amour pour les autres, c’était donc le choix logique. Seulement...
— Seulement…
— Eh bien… Ruben n’était pas fait pour devenir médecin de campagne. Ça aurait été du gâchis, vu son talent. Le jour où il a fêté son diplôme, il le savait. Et son père le savait. Pour le reste du village en revanche, autant vous dire que ça a été un coup dur. Malgré son diplôme… Ruben n’allait pas revenir. Tout le monde devait l’accepter.
— C’est aussi ça, grandir. C’est accepter les choses dont on souhaiterait qu’elles ne soient pas vraies...
— Oui, et c’est ce que Ruben a fait. Il a commencé à l’hôpital de Limoges. Mais, très vite, il a été appelé à Paris. Il travaillait sans relâche. Au contact des patients, d’abord. Mais aussi, rapidement, à l’université. D’élève, il est devenu professeur. Il avait écrit plusieurs articles de recherche qui avaient été remarqués. Je me souviens, chez le père Hieronymus, les revues médicales étaient toutes là. Même lui ne devait pas y comprendre grand chose… Mais sa fierté était belle à voir. Cet homme était fier de son fils, plus fier que n’importe quel père le sera jamais.
— Il semble qu’il avait toutes les raisons d’être fier, oui...
— Eh oui… Ces années-là sont passées comme l’éclair. C’est là que Ruben a eu une opportunité qui allait changer sa vie. On lui proposait de prendre la tête d’une mission humanitaire en Afrique de l’Ouest. Lui, le neurologue habitué des chaires d’université et des repas dans les grands restaurants avec les pontes de la médecine française… Il avait envie de renouveau. Alors, il a accepté. C’est ainsi que Ruben Hieronymus est parti en Afrique.
— Toujours à faire passer l’intérêt des autres avant le sien...
— Oui. Oui, toujours. C’était un véritable humaniste. Ses actes étaient en accord avec sa pensée. Il ne ménageait jamais ses efforts. Ruben est resté plus de trois ans en Afrique. Il y est tombé amoureux d’une femme médecin qui travaillait avec lui. Ils ont même eu un bébé ensemble. Tout semblait aller pour le mieux pour lui.
Il marqua une pause.
— Mais… À cause de cette parenthèse africaine, Ruben était resté longtemps loin du village. Très longtemps. Le jour où il est rentré, ça faisait une éternité qu’il n’avait pas vu son père. La première chose qu’il a faite à son retour, ça a été de lui rendre visite. Mais quand Ruben a sonné à la porte de la maison familiale… Lorsque son père lui a ouvert la porte… Il… Il ne s’est rien passé. Le vieux Hieronymus n’a pas reconnu le fils prodigue.
Un long silence.
— Le diagnostic est tombé quelques semaines plus tard. Maladie d’Alzheimer. Elle s’était déclarée de manière foudroyante.
Il ne dit rien pendant plusieurs secondes. Une larme coulait le long de la joue de la jeune femme. L’histoire semblait raviver de vieilles douleurs.
— Pour Ruben, le choc fut terrible. Ce père, ce père aimant qui avait été si fier de lui, n’était même plus capable de le reconnaître. Ruben était inconnu à sa propre adresse. Ça l'a bouleversé. Lui qui avait prévu de retourner s’installer à Paris, il a décidé de revenir au village. Enfin, après toutes ces années. C’est là qu’il a acheté la demeure que vous regardiez, et qu’il s’y est installé avec sa famille. Celle de son père est juste derrière. Et jusqu’au trépas du vieux Hieronymus, il n’y pas eu un jour où son fils ne soit pas allé prendre soin de lui, et lui rendre l’amour qui l’avait entouré en grandissant.
La jeune femme était parvenue à sécher ses larmes. Elle se moucha bruyamment.
— Allez, rassurez-vous. C’est une histoire dramatique, mais heureusement, elle finit bien. Car après le décès de son père, Ruben a repris ses recherches. Et il s’est dévoué corps et âme à la lutte contre la maladie d’Alzheimer. Articles, livres, interventions médiatiques… Il a beaucoup contribué à sensibiliser le grand public à l’existence de la maladie et à sa prévention. Le traitement contre Alzheimer n’existe certes pas encore, mais lorsqu’il verra le jour… Je suis convaincu qu’il devra beaucoup à Ruben Hieronymus.
Elle eut un sourire triste, et essuya les traces d’humidité aux coins de ses yeux.
— J’en suis convaincue, moi aussi.
Un véhicule apparut au bout de la route. En silence, ils le regardèrent s’approcher, s’approcher, jusqu’à s’arrêter à quelques mètres d’eux. C’était une ambulance.
Un infirmier en descendit, et s’approcha de la jeune femme.
— Mademoiselle Solenne Hieronymus ?
Elle le salua d’un hochement de tête.
— C’est moi, oui.
— Tout est prêt pour le transfert vers la maison de retraite. Prenez le temps dont vous avez besoin.
— Parfait. Nous arrivons dans… Dans un instant.
Elle se leva du banc et s’agenouilla à côté du vieil homme, puis elle lui prit la main avec douceur.
— Allez, viens, Papa. Il faut que l’on aille avec lui.