đ© J+390 - Interview avec un Ă©diteur
Un Ă©change avec Gabriel Zafrani, directeur adjoint des Ă©ditions Robert Laffont.
â± Temps de lecture : 5 minutes
Bonjour Ă tous, et bienvenue dans cette 29Ăšme Ă©dition !
Ca fait trĂšs longtemps que jâavais envie dâinterviewer un Ă©diteur, et, grĂące Ă la newsletter, câest dĂ©sormais chose faite ! Il y a quelques semaines, jâai pu rencontrer Gabriel Zafrani, directeur adjoint de la maison dâĂ©dition Robert Laffont.
Dans cette interview, vous allez découvrir :
Comment on devient Ă©diteur
Le fonctionnement du mĂ©tier et ses enjeux aujourdâhui
Ce quâon cherche chez un primo-romancier
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Devenir Ă©diteur : mode dâemploi
MalgrĂ© lâheure matinale, Gabriel a dĂ©jĂ bu deux cafĂ©s quand je le retrouve Ă la terrasse du Hibou, dans le sixiĂšme. Rien dâĂ©tonnant Ă ce quâil soit habituĂ© Ă se lever tĂŽt, vu son poste : voilĂ maintenant deux ans quâil occupe le rĂŽle de directeur adjoint des Ă©ditions Robert Laffont.
Avant, au dĂ©but, il a travaillĂ© en banque dâinvestissement. Puis il a bifurquĂ© vers le Syndicat national de lâĂ©dition, sa premiĂšre aventure au sein de cet univers qui lâavait toujours attirĂ©, avant de rejoindre le groupe Editis en 2016 comme chef de cabinet du PDG, et sa maison actuelle en 2019.Â
Mi-exécutif, mi-éditeur
Aujourdâhui, les Ă©ditions Robert Laffont font partie du groupe Editis, lâun des gĂ©ants du monde du livre. Les maisons du groupe sont souvent dirigĂ©es par un tandem, constituĂ© dâun Ă©diteur de mĂ©tier, et dâun secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral en charge des finances, des opĂ©rations et des ressources humaines.
A la base, Gabriel se concentrait sur ce rĂŽle dâexĂ©cutif. Mais Sophie Charnavel, la directrice gĂ©nĂ©rale et Ă©ditrice de mĂ©tier, ne lâentendait pas de cette oreille : son adjoint se devait de connaĂźtre le mĂ©tier en profondeur.Â
Gabriel consacre donc maintenant la plupart de son temps Ă lâĂ©dition en elle-mĂȘme : repĂ©rer des projets, en assurer le suivi, les transformer en livres. Sa spĂ©cialitĂ© ? La non-fiction. En ce moment, une biographie de Zelensky. Guerre en Ukraine oblige : lâĂ©dition, câest aussi trouver les thĂšmes dans lâair du temps.Â
LâADN Robert Laffont
Quand il a lancĂ© sa maison dâĂ©dition en 1941, Robert Laffont, alors ĂągĂ© de 25 ans, tenait Ă ce quâelle ait un ADN bien particulier. Pour le fils du directeur de la Compagnie GĂ©nĂ©rale Transatlantique, sâinspirer des Etats-Unis est une Ă©vidence. Dans un pays qui adore classer, catĂ©goriser et ranger dans des cases, Robert Laffont se distingue par sa volontĂ© dâinnover.
Des annĂ©es plus tard, Gabriel me le confirme : au sein de la maison, pas de snobisme. Ce nâest pas parce quâune Ćuvre plaĂźt au grand public quâelle est dĂ©nuĂ©e de toute qualitĂ© littĂ©raire, bien au contraire. Et câest vrai tant pour la fiction que la non-fiction.Â
Le processus Ă©ditorial vu de lâintĂ©rieur
Alors, quel itinĂ©raire a suivi un livre avant de se retrouver entre vos mains avec le logo Robert Laffont imprimĂ© sur la couverture ? La premiĂšre Ă©tape, câest le comitĂ© de lecture. Chez Robert Laffont, on reçoit entre 6000 et 10 000 manuscrits par an. Et pour le livre, câest lĂ que le combat commence.Â
La phase de sélection
Contrairement Ă ce quâon pourrait croire, il ne suffit pas de sĂ©duire un (seul) Ă©diteur pour que son livre soit publiĂ©. Le marchĂ© est trop concurrentiel. La lutte se poursuit jusquâĂ lâintĂ©rieur de la maison dâĂ©dition. Les projets sont nombreux, et mĂȘme une grande maison comme Robert Laffont publie « seulement » une centaine de romans par an (et presque autant en non-fiction).
Parmi eux, une majoritĂ© Ă©mane dâauteurs dĂ©jĂ publiĂ©s par la maison qui les suit et les accompagne ou qui disposent dĂ©jĂ dâun nom et dâun public. Ăa laisse peu de place pour les primo-romanciers. MĂȘme parmi les projets de qualitĂ©, les Ă©diteurs doivent faire des choix, ce qui entraĂźne des dĂ©bats passionnĂ©s en interne pour choisir les plus prometteurs.Â
Pour quâun manuscrit soit retenu, il doit donc dâabord sĂ©duire en interne. Et pour ça, lâĂ©diteur tranchera souvent en fonction de sa cible. Pour quâun livre soit Ă©ditĂ©, il doit correspondre Ă un public. Cette logique peut sembler frustrante, mais au fond, tout auteur souhaitant ĂȘtre publiĂ© Ă©crit pour ĂȘtre lu. Un roman qui marche, câest un roman qui trouve son audience.Â
Et pour cela, convaincre lâĂ©diteur nâest que la premiĂšre Ă©tape. Lâouvrage doit ensuite parvenir Ă convaincre les commerciaux de la maison dâĂ©dition, puis les libraires, la presse, le grand public, et ensuite, avec un peu de chance, les Ă©diteurs Ă©trangers ou les producteurs audiovisuels qui souhaiteraient en acquĂ©rir les droits.Â
Le marché du livre : une concurrence en hausse
Le livre a beau ĂȘtre un objet symbolique, il est pourtant au cĆur dâun marchĂ© rĂ©gi par des lois Ă©conomiques. Et dans un marchĂ© en baisse depuis une trentaine dâannĂ©es, la logique rĂ©cente a Ă©tĂ© paradoxale : on a rĂ©pondu Ă une baisse de la demande⊠Par une hausse de lâoffre ! Jamais autant de nouveaux titres nâont paru que depuis quelques annĂ©es. On offre du choix, du choix, du choix⊠Quitte Ă intensifier la concurrence.Â
Câest une logique de capital-risque et de pĂ©rĂ©quation : lâĂ©conomie dâune maison dâĂ©dition peut se trouver Ă lâĂ©quilibre tant que les bonnes ventes dâun seul livre permettent de compenser les moins bonnes ventes de neuf autres. Et puis, câest dur de renoncer Ă publier chacun de ses coups de cĆur. Alors, on tente. On se dit que ça peut marcher.Â
Mais est-ce viable Ă terme ? « Malheureusement non », selon Gabriel. « A la fois pour des raisons de santĂ© financiĂšre, dâĂ©quitĂ© entre les auteurs mais aussi parce que les libraires nous supplient dâarrĂȘter de sortir autant de nouveautĂ©s. En ce moment, beaucoup de maisons rĂ©duisent la voilure sur le nombre dâouvrages publiĂ©s ; en contrepartie, elles peuvent offrir un meilleur accompagnement aux auteurs ».Â
Bref : les places sont trĂšs limitĂ©es, et un manuscrit a environ 1% de chances de se transformer en roman. Heureusement, le nombre croissant de maisons dâĂ©dition permet aux auteurs de tenter leur chance auprĂšs dâun nombre croissant dâĂ©diteurs.
Ce quâon recherche chez un primo-romancier
Alors, malgrĂ© ce contexte fortement concurrentiel, comment mettre un maximum de chances de son cĂŽtĂ© avec un premier roman ?Â
Du talentâŠ
Depuis que jâai lancĂ© ma newsletter, jâĂ©tais de plus en plus convaincu quâun auteur devait ĂȘtre un touche-Ă -tout. A la fois Ă©crivain, illustrateur, community manager⊠Pourtant, ce nâest pas obligatoire.
« Certains le font, mais ce nâest pas ça le plus important », selon Gabriel. « Ce quâon cherche chez un auteur, câest la mĂȘme chose depuis que lâhomme met le monde en mots, et ça ne changera pas demain : câest sa capacitĂ© Ă Ă©crire une histoire, et Ă raconter le monde avec une vision qui lui appartient et qui touche les gens ». Et cette qualitĂ© nâest pas propre aux romanciers : elle sâapplique Ă©galement Ă la BD, aux mangas, aux films, aux sĂ©ries, etc.  Â
⊠mais pas que !Â
Pour autant, il admet lui-mĂȘme que trouver la perle rare est aussi une histoire de chance. « Il y a plein de choses qui influencent le processus de sĂ©lection. Est-ce que câest un sujet dans lâair du temps ? Quelles Ă©motions est-ce que ça suscite ? Et puis, une fois quâon sâest rencontrĂ©s, quelle est la personnalitĂ© de lâauteur ? Est-ce quâon a envie de travailler avec lui ? Bien sĂ»r, lâintuition joue un rĂŽle, mais on peut aussi se tromper sur toute la ligne. Câest ce qui rend ce mĂ©tier aussi stimulant, il y aura toujours une part de chance, et une capacitĂ© de certains auteurs Ă dĂ©jouer tous les pronostics ».Â
Bref, aucun thĂšme imposĂ© pour se faire repĂ©rer. Mais, tout de mĂȘme, une impression de voir des Ă©volutions de fond.
« Un des premiers formats Ă succĂšs a Ă©tĂ© le roman-feuilleton, que le public dĂ©couvrait chaque semaine dans le journal. Ensuite, nous avons eu les grandes sagas familiales, les Zola, les Rougon-Macquart. Depuis quelques annĂ©es, il y a eu Ă©normĂ©ment dâautofiction, de narrative non-fiction, des livres qui mĂ©langeaient les codes du roman et de lâautobiographie ou de lâenquĂȘte. Aujourdâhui, jâai lâimpression que le romanesque revient en force, et notamment les genres de lâimaginaire, la Science-Fiction, le roman historique. Mais cette analyse est partielle, ce sont des modes quâon post-rationalise et qui se dĂ©crĂštent surtout a posteriori, au grĂ© des succĂšs ».Â
La conclusion de lâentretien est donc trĂšs positive : malgrĂ© la concurrence sur le marchĂ©, tous les auteurs ont leurs chances, que que soit leur genre et leur univers. Et le monde des livres ne semble jamais avoir Ă©tĂ© aussi riche et dynamique quâaujourdâhui !
Les stats de la semaine
Sur le roman :
Le boost de motivation continue : ça y est, jâai vraiment pris lâhabitude de me lever tĂŽt tous les jours pour Ă©crire. Les rĂ©sultats continuent de suivre : 26 heures sur mon roman ces 2 derniĂšres semaines, je suis passĂ© de 19 Ă 36% de correction du manuscrit đ
Et lâĂ©lagage (cf. Ă©dition prĂ©cĂ©dente) est toujours aussi efficace ! Jâai corrigĂ© 75 pages de plus, et il y en a 24 qui ont sautĂ©. Quasiment -33%. Le rĂ©cit continue de gagner en rythme đȘ
Sur la newsletter :
Je nâai pas particuliĂšrement communiquĂ© rĂ©cemment, donc nous accueillons quelques nouveaux inscrits (bienvenue đ) mais pas de hausse phĂ©nomĂ©nale Ă signaler !
Conclusion
Lâentretien avec Gabriel Zafrani mâaura permis de dĂ©couvrir le point de vue dâun insider sur un univers riche et en constante Ă©volution. La capacitĂ© Ă identifier une cible bien dĂ©terminĂ©e, Ă raconter des histoires prenantes, et Ă transmettre une certaine vision du monde, câest ça aussi qui fait lâADN du mĂ©tier dâĂ©crivain.
La concurrence est rude⊠Mais ça confirme que travailler pour crĂ©er une oeuvre dont on est fier, ça vaut le coup !Â
On se retrouve dans 2 semaines.
J+390.
đ© J+390 - Interview avec un Ă©diteur
Salut Alex, pour t'encourager dans ton projet, je vais suivre ton aventure.
Amitiés
Christian
super newsletter Alexandre :)