Bonjour à tous, 78ème édition aujourd’hui.
Un peu plus tôt ce mois-ci, j’ai traversé quelques jours de passage à vide, au cours desquels j’ai pris pas mal de notes.
Plutôt que les habituels conseils d’écriture, j’ai eu envie aujourd’hui de partager avec vous un témoignage plus intime sur la face sombre du travail créatif, et sur ces moments difficiles qu’il m’arrive de traverser sans toujours oser en parler.
Bonne lecture !
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Ce moi que je ne veux pas être
L’écriture est un exercice ambivalent. Il y a des jours où ça coule tout seul, et d’autres où j’ai l’impression que je ne verrai jamais le bout, que je ne finirai jamais ce putain de manuscrit, que si je le termine il sera raté comme le précédent, et que mon écriture sera toujours à mille lieues de celle des auteurs que j’admire et auxquels je rêve de ressembler.
J’aime présenter l’admiration comme un moteur, un sentiment qui pousse à se dépasser, à toujours donner le meilleur de soi, à s’efforcer de faire chaque jour mieux que la veille. Tout ça est vrai, oui.
Mais l’admiration nourrit aussi un sentiment plus insidieux : la jalousie.
Jalousie de ces auteurs déjà publiés, déjà adulés. Jalousie de leurs textes, de leur voix, de leur style que je n’arrive pas à égaler. Jalousie de leur succès, de leur liberté, de l’admiration qu’ils suscitent.
Schadenfreude
La jalousie ne vient pas seule. Dans ces phases de passage à vide, s’y ajoute sa petite soeur sournoise : la mesquinerie. J’ai dû aller chercher la définition pour vérifier qu’elle correspondait bien à mon ressenti. “Mesquin (adj) : qui est attaché à ce qui est petit, médiocre ; qui manque de grandeur, d'élévation, de générosité”.
Manquer de grandeur, c’est bien ça. En pire.
Les Allemands ont un terme pour ça : Schadenfreude. La joie malsaine qu’on éprouve face au malheur des autres.
“Elle n’a pas trouvé d’éditeur, son texte ne doit pas être si bien, au fond”.
“Il n’a vendu que 300 exemplaires, oupsi - tout ça pour ça”.
Peu importe si c’est faux, peu importe si ça concerne des personnes que j’apprécie, peu importe si je regrette ces pensées à l’instant même où elles se forment : le fait est qu’elles se sont formées. Incapable de m’élever jusqu’à leur hauteur, une part de moi a besoin de les attirer dans ma petitesse. Entre le crapaud et la blanche colombe, on n’a pas toujours le beau rôle.
Courir — mais pour aller où ?
Dans ces phases de doute, j’ai tendance à en revenir à la question de base : pourquoi prendre tout ça tant à coeur ?
Ce n’est jamais suffisant. Est-ce que ça le sera un jour ? J’ai besoin d’un objectif vers lequel tendre, j’ai besoin d’y consacrer mon temps libre et mon énergie, de m’enfermer dans la routine et la discipline, j’ai ce désir débile d’aller plus haut, plus loin, plus fort. Mais pourquoi, au fond ? Je dis que c’est pour le défi, pour le challenge, pour savoir si j’en suis capable, pour la simple beauté de l’effort. Mais c’est peut-être pour ne pas penser, pour ne pas douter, pour ne pas m’effondrer.
Je m’agite autant que possible, mon temps est compté, je suis un homme pressé. Vite, vite, je dois aller vite, peu importe la direction. Aller suffisamment vite pour ne jamais me poser la question de ce qui se passera si j’échoue. Ou même si je réussis.
L’important, ce n’est pas de savoir pourquoi je le fais - c’est de le faire.
[Si vous relisez la dernière phrase, vous aurez peut-être l’impression que je me plante dans mon approche - et vous n’aurez peut-être pas tort]
La frustration
Ecrire, ça demande une bonne dose d’inconscience. Il y a plein de manières de s’y prendre. La mienne, c’est de me jeter dans le travail, et d’oublier le reste. À force d’efforts et de discipline, ça peut fonctionner. D’ailleurs, tant que les mots coulent naturellement, tout va bien. Parce que j’ai cette fierté, chaque jour, d’être un peu plus proche de mon objectif que la veille.
Mais parfois, la machine se grippe. Parfois, il y a des passages à vide. Parfois, je ressors de mes sessions d’écriture le ventre noué, le souffle court, l’envie d’envoyer le mac s’éclater contre un mur. Je viens de mettre une heure à pondre trois paragraphes minables. Et ça fait dix jours que ça dure. À ce rythme, j’aurai fini mon premier jet en 2033.
Dans ces moments-là, ce qui prédomine, c’est la frustration. C’est le dégoût. C’est la colère.
Boîte de Pandore
Tout est tellement plus facile dans les textes que j’écris. Ecrire, c’est pouvoir inventer ma vie : ils le chantaient déjà dans Starmania. C’est oublier mes peurs, mes rêves, mes doutes, mes illusions et mes manques ; c’est tout laisser aux bons soins de mon imagination. Il suffit d’une phrase pour dire « Alex prit son courage à deux mains pour avouer à cette fille qu’elle lui plaisait » ; dans la vraie vie, Alex, ça lui a pris des années.
L’écriture, c’est une boîte de Pandore dans laquelle j’enferme mes ressentis et ma vision du monde, c’est là que je me confie, c’est là que je peux incarner ce qu’il y a de meilleur en moi - et donc, aussi, ce qu’il y a de pire. Je ne serai jamais capable de créer un personnage sans qu’il absorbe une part de moi. Je lui donnerai toujours ces qualités que j’aimerais avoir, je le contaminerai toujours avec ces défauts que je tente d’exorciser.
L’homme qui ne savait pas pourquoi il écrivait
Plus de trois ans que j’écris chaque jour. Pourquoi avoir choisi de m’infliger ça ?
Est-ce que j’aime écrire, au moins ? Dans ces moments-là, je n’en suis même plus sûr.
J’aime avoir écrit, ça oui. J’aime dire que j’écris, aussi. Ça flatte l’ego.
Mais est-ce que c’est ça qui me fait me lever tous les matins ? Si je suis honnête, la réponse est non. Si je me lève, c’est pour éviter d’avoir la boule au ventre. Aucune idée d’où elle vient, cette boule. Mais elle est là, depuis des années.
Des années de rêve, peut-être ? Des années de frustration, sûrement. Des années de certitudes quant à mon talent et mon potentiel, qui se sont fracassées contre le mur de la réalité. Ce décalage entre l’écrivain que je rêvais d’être, petit, et celui que je suis réellement : elle vient de là, cette boule. Elle vient de là, cette rage.
La rage d’écrire
Rage contre le temps perdu, rage contre les illusions, rage contre les faux espoirs. Rage contre ma lenteur, rage contre ma fatigue, rage contre ma mollesse. Rage contre ces années d’efforts. Rage contre ce manuscrit raté. Rage contre cet avenir incertain. Rage contre ces rêves auxquels on refuse de renoncer.
La rage, c’est comme la jalousie, la mesquinerie et la schadenfreude. Je préfèrerais qu’elle ne soit pas là, tapie dans l’obscurité. Mais elle est là, et je ne peux pas détourner les yeux.
Je préfèrerais être une meilleure personne, un meilleur écrivain, un esprit pur porté par son seul amour de la littérature et sa dévotion à son art. Mais par moments, tout ce que je vois dans le miroir, c’est un gamin rêveur avec un besoin viscéral d’admiration, une tendance névrotique à se comparer et une peur panique de l’échec. Peu importe que ce soit vrai ou pas. Au milieu de ce triste constat, il y aura toujours un sentiment sur lequel je peux compter : la rage.
Ce besoin de dompter mes craintes, de refuser d’être ce crapaud pétri de jalousie, de capturer ce tourbillon de doutes, de peurs et d’espoirs contrariés pour l’enfermer dans un joli document Word bien lisse, bien propre et bien plus grand que moi.
Je ne suis pas certain de pourquoi j’écris. Peut-être pas toujours pour les meilleures raisons.
Mais une chose est sûre : j’ai la rage d’écrire.
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Wow Alexandre ça c’est un très beau texte ! 🙏
Merci d’aborder des thèmes aussi difficiles.
Je passe mes journées à me comparer, d’ailleurs quand je suis en phase d’écriture de romans je ne lis quasiment plus rien parce que n’importe quel bouquin publié (par « une vraie maison d’édition et pas sur Amazon, t’es nulle personne ne veut de toi ») me plonge dans le doute . Le moindre texte même nul (et en toute objectivité il y a des bouquins dont je me demande comment ils ont réussi à être publiés) je me dis que ce que j’écris ne vaut rien. Dans ces moments là j’ai envie de refermer mon ordinateur, de l’enterrer dans un trou et de partir en courant.
Et je ne parle pas des très bons livres que je fuis comme la peste parce que la j’ai vraiment l’impression d’être la plus nulle des nulles.
Je ne pense pas avoir la rage d’écrire comme toi, dans mon cas c’est plus la sensation de « vous pensez que je ne peux pas le faire et bien je vais vous montrer que je peux ». Une envie de clouer le bec définitivement à mes détracteurs imaginaires 🤪
Dans tous les cas, c’est une auto - analyse passionnante que tu as faite. Merci d’avoir eu le courage de la partager 🙏
Bonjour Alexandre,
Tout d'abord, merci et bravo pour ce texte qui a dû être difficile à rédiger. Il est tellement beau qu'il pourrait être publié ;-)
Je partage pas mal de tes doutes, et aussi, je suis en accord avec la plupart des réactions déjà publiées à cette newsletter.
Il est clair que tout dépend de ce que l'on cherche vraiment au fond de soi.
Je ne me compare pas aux autres. C'est la meilleure des façons de ruminer et ça n'apporte rien, à mon avis. Je préfère me comparer à mon moi du passé.
Que ce soit pour l'activité physique : à vélo, ai-je réussi à faire l'itinéraire que j'avais prévu ? Ai-je fait plus de km que l'année dernière ? Si c'est un trajet déjà fait, ai-je mis moins de temps ? Et surtout, je ne me compare à personne d'autre. Surtout que je n'ai aucune ambition de gagner des courses. Et c'est aussi pour cela que je roule souvent seul.
Pour la littérature, c'est pareil. Je n'envisage pas d'en vivre. Je suis serein pour ça. J'écris parce que j'ai envie de matérialiser une histoire. Peut-être aussi, pour qu'elle me survive et qu'il reste une trace de moi après ma mort. Mourir un jour, il le faudra bien, mais ne pas disparaître complètement. Et sans doute, parce que cela devrait plaire à d'autres, et j'aime faire plaisir.
Je ne me compare pas aux autres. J'ai trouvé un style qui me convient, je n'imite (plus) personne. Quand je lis les romans publiés d'amis auteurs et autrices, je suis content d'avoir lu une belle histoire, je suis content qu'ils aient été publiés, et je ne me suis jamais demandé si mes textes étaient mieux ou moins bien. Ça ne m'apporterait rien de bon. Surtout que les maisons d'édition, au-delà des habituels critères techniques, fonctionnent 1/ d'après le type d'histoire qui leur fait défaut dans leur catalogue (c'est même plus pointu que la ligne éditoriale : un texte excellent peut ne pas passer, s'ils en ont déjà du même genre et qu'ils cherchent autre chose) et 2/ au coup de cœur. Donc inutile de chercher à rationaliser et à comprendre...
Mais je me compare à moi-même. J'ai déjà relu des passages de textes écrits voici deux, cinq ou dix ans. L'histoire derrière le texte est toujours motivante. Mais je vois les défauts de ces "moi du passé", je vois surtout les progrès que j'ai faits, en pratiquant, en me formant, en discutant, en échangeant... Et ça, c'est du bonheur, de voir que je progresse. Est-ce que c'est suffisant pour être éditable ? Sans doute. Pour être édité ? Pas sûr. Alors je continue à expérimenter, à apprendre, à pratiquer, et tant que j'y trouve du plaisir, c'est le plus important.
Mais je serais vraiment ravi si un jour une ME accepte de m'éditer. Je ne dois pas en être loin, vu que j'ai reçu une lettre de refus détaillée d'une ME, ce qui n'arrive quasiment jamais. Et le problème n'était pas la qualité du texte, juste que ça tombait en dehors de ce qu'ils recherchaient... d'autres ME pourraient avoir un avis différent !
Courage et amitiés,
Georges