🎥 L'écriture sensorielle, késako ?

Ou comment exploiter le pouvoir unique des mots pour générer des émotions.

nov. 10, 2024

Bonjour, bienvenue dans cette 77ème édition !

Quand je vous demandais la dernière fois quel thème vous attirait le plus pour la newsletter d’aujourd’hui, l’option “L'écriture sensorielle, késako ?” est arrivée largement en tête (46% des suffrages - soyons précis). Une promesse est une promesse, alors à l’attaque !

Préparez-vous à découvrir :

Pourquoi un auteur, c’est comme un réalisateur
Ce qui fait que l’écriture reste (pourtant) un média à part
Comment utiliser l’écriture sensorielle ?
Les 2 erreurs classiques des auteurs débutants
La solution magique pour trouver l’équilibre

Bonne lecture !

PS : bienvenue aux 70 nouveaux abonnés (on ne s’arrête plus !) : Nathalie, Julien, Brune, Apolline et les nombreux autres ! 💌

Pensez à vous abonner ici pour recevoir la newsletter un dimanche matin sur deux :

Une foule de primo-auteurs devant un contrat d’édition

Un auteur, c’est comme un réalisateur

Le travail d’écrivain ressemble beaucoup à celui du réalisateur qui tourne un film. Il imagine un décor et une ambiance, ajoute des personnages qui tiendront lieu d’acteurs, et leur assigne chacun un rôle. Puis il dirige la caméra (/ il écrit) pour donner vie à la scène, plan par plan, détail par détail, et ainsi guider le spectateur (/ le lecteur) dans sa découverte de l’histoire.

Pour l’écrivain, la principale difficulté dans cet exercice, c’est de fournir suffisamment de contexte au lecteur. Si ce dernier n’a aucune idée de l’endroit où se déroule l’action, de qui en sont les protagonistes, et de pourquoi ils sont là, il abandonnera vite le livre. Mais à l’inverse, décrire minutieusement chaque détail d’un lieu pour en brosser un tableau le plus complet possible ne fonctionnera pas non plus.

Alors, comment faire en sorte de donner vie à ses scènes sans se perdre dans d’interminables descriptions ?

Pourquoi l’écriture est un média à part

Tout au long de la rédaction de mon premier manuscrit, j’écrivais exactement comme décrit ci-dessus : décor, personnages, actions - et on recommence.

Sauf que lorsque j’ai partagé mon manuscrit à des bêta-lecteurs, l’un des retours m’a beaucoup surpris. “C’est très riche, c’est comme une série Netflix, on visualise tout à fait. Mais dis-moi, pourquoi as-tu choisi l’écriture comme média ? Tout est très visuel… Peut-être trop. Je sais tout ce que les personnages voient, mais à aucun moment tu n’évoques ce qu’ils sentent, ce qu’ils touchent, ce qu’ils ressentent… Ce serait presque plus pertinent d’en faire un scénario de film, tu y as pensé ?”

Je n’ai pas su répondre. Elle avait mis le doigt sur un point très juste : lorsque j’imaginais des scènes, je fermais les yeux et j’essayais de projeter leur déroulement dans ma tête, comme si je regardais un film. Mais un livre, ce n’est pas un écran de cinéma. Et sans m’en rendre compte, je passais à côté de ce qui fait de l’écriture un média à part.

Comment utiliser l’écriture sensorielle ?

L’écriture sensorielle, c’est la capacité des mots à nous plonger dans un univers plus abstrait, mais paradoxalement bien plus riche que tout ce qu’on pourrait voir à l’écran, car il laisse la part belle à l’imagination.

L’écriture sensorielle permet donc de rendre le récit plus immersif. Le bruit crée une ambiance. Le goût peut susciter la faim, l’envie, ou l’écoeurement. L’odeur fait resurgir des souvenirs.

Ça marche même avec le toucher ! En témoigne cet extrait du poème en prose Le pain, de Francis Ponge (1942) :

La surface du pain est merveilleuse, d’abord, à cause de cette impression quasi-panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.

Ainsi donc, une masse amorphe en train d’éructer fut glissée dans le four stellaire où, durcissant, elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses, et en tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière, avec application, couche ses feux.

Vue aérienne du Grand Canyon selon Francis Ponge

Oh, au fait !

Si vous appréciez cet article, aidez-moi à faire connaître la newsletter autour de vous, ça m’aide énormément 😊 C’est même l’occasion de gagner des cadeaux :

1 recommandation → Retours et conseils sur un de vos textes
3 recommandations → Session coaching de 30 minutes ensemble
5 recommandations → Je mets en avant votre projet dans la prochaine newsletter

Référez un ami

Merci par avance, et on retourne à l’article !

Les 2 erreurs classiques des auteurs débutants

Si vous suivez bien, vous avez déjà capté la première erreur des débutants, celle dans laquelle j’ai sauté à pieds joints : totalement oublier d’utiliser les cinq sens au moment d’écrire une scène.

Le problème ? La lecture est moins immersive, et le texte peut même avoir l’air plat. Donc, pensez bien à utiliser l’astuce ci-dessus et à ne pas utiliser que la vue dans vos descriptions.

Mais attention à l’excès inverse, dans lequel on peut tomber tout aussi vite après un retour comme celui que m’avait fait ma bêta-lectrice : mettre des descriptions sensorielles absolument partout.

L’écriture sensorielle est une technique très connue par les éditeurs, souvent pointée du doigt comme l’une des erreurs récurrentes dans les manuscrits des primo-romanciers. Cela donne l’impression qu’à chaque page, l’auteur met l’histoire en pause pour préciser « voilà ce que ça sent, voilà ce qu’on peut toucher ». Ça fait artificiel, et ça lasse vite aussi.

La solution magique pour trouver l’équilibre

(tels Hocus Pocus & Oxmo Puccino - ne vous moquez pas de mes refs svp)

Pour trouver la fine ligne de crête entre les deux écueils ci-dessus, une seule solution : se concentrer sur les descriptions pertinentes. Et pour savoir si une description est pertinente, il faut se demander ce qu’elle doit faire ressentir au lecteur. Curiosité ? Bien-être ? Malaise ?

Pour lui transmettre cette émotion, il faut passer par le ressenti du personnage. C’est ce qui va créer de l’empathie : en trouvant les détails qui suscitent des émotions pour le personnage qui vit la scène, ces émotions se répercutent sur le lecteur.

Par exemple, imaginons que vous écrivez un roman policier et que votre enquêteur arrive, seul, sur une scène de crime. Il ne sait pas encore ce qu’il va trouver, mais ce qui lui saute aux narines, c’est l’odeur. Une odeur âcre, rance, une odeur tenace de pourriture qui prend aux tripes dès que l’on passe la porte.

Vous voyez le schéma ? Description sensorielle (odeur très forte) → ressenti du personnage (dégoût) → ressenti du lecteur (crainte accentuée : que va trouver l’enquêteur ? à quel type de taré fait-il face ?).

Bref, quand on parle de “sensations”, gardez en tête que le terme renvoie tant à ce qu’on sent (les 5 sens) qu’à ce qu’on ressent (les émotions liées).

Pour conclure cette édition, je vous laisse avec un extrait du célèbre roman Le Parfum de Patrice Süskind (1985), l’un des meilleurs exemples de l’usage de descriptions sensorielles (et l’image utilisée en début d’article) :

Maintenant, il sentait qu'elle était un être humain, il sentait la sueur de ses aisselles, le gras de ses cheveux, l'odeur de poisson de son sexe, et il les sentait avec délectation. Sa sueur fleurait aussi frais que le vent de mer, le sébum de sa chevelure aussi sucré que l'huile de noix, son sexe comme un bouquet de lis d'eau, sa peau comme les fleurs de l'abricotier... et l'alliance de toutes ces composantes donnait un parfum tellement riche, tellement équilibré, tellement enchanteur, que tout ce que Grenouille avait jusque-là senti en fait de parfums, toutes les constructions olfactives qu'il avait échafaudées par jeu en lui-même, tout cela se trouvait ravalé d'un coup à la pure insignifiance.

Conclusion

Fin de cette 77ème édition, j’espère qu’elle vous aura plu ! Je m’efforce désormais d’utiliser davantage l’écriture sensorielle lorsque je relis mon texte, car je sais que mon mode de description par défaut est très (trop) visuel. Être conscient de mes propres faiblesses devrait donc m’aider à les compenser.

N’hésitez pas à me dire en commentaire si vous utilisez régulièrement cette méthode, ou si vous la trouvez au contraire trop galvaudée. Merci d’avoir lu jusqu’ici, et je vous retrouve dans deux semaines !

J+1181.