J-219 - Pourquoi me liriez-vous ?
A l’heure d’Instagram et Netflix, qu’est-ce qui nous mène à passer des dizaines d’heures à lire une seule et même histoire ? Zoom sur le rôle-clé de l’intrigue.
Un petit rappel avant d’entrer dans le vif du sujet : si vous n’avez pas été au bout de la dernière newsletter, vous pouvez retrouver ici ma nouvelle “L’âme de la tour”, prix Coup de coeur du concours de nouvelles auquel j’ai participé en février dernier autour du thème “Imaginer le futur de l’énergie en 2070”. Bonne lecture ! ⚡️
Vous arrive-t-il parfois de ne pas finir un roman que vous aviez commencé ?
De mon côté, c’est très rare. Quand je me lance dans un livre, je sais souvent déjà de quoi il parle. Quelqu’un m’en a parlé, ou j’ai lu la quatrième de couverture, et j’ai eu envie d’en savoir plus. Ce livre, je l’ai acheté, et maintenant, je m’apprête à dépenser du temps pour découvrir l’histoire qu’il contient. En général, à ce stade, je me lance dans la lecture avec plaisir, et je vais jusqu’au bout.
Seulement voilà, parfois, ça ne veut pas. J’ai beau essayer de m’y plonger tous les soirs avant de me coucher, l’envie n’y est pas. Les mots se succèdent, mais le plaisir n’est pas là. Et l’envie de tourner les pages non plus. Au bout d’un moment, je renonce.
“Je ne suis pas rentré dedans”, voilà ce que l’on dit dans ces cas-là.
Alors, pourquoi y a-t-il certains livres que nous sommes incapables de lâcher ? Des livres que nous avons besoin de dévorer jusqu’au bout, le plus vite possible, sans en perdre une miette ? Et d’autres auxquels on renonce après quelques dizaines voire centaines de pages, avec un goût de déception dans la bouche ?
En général, la réponse tient à ce fil invisible qui vient structurer l’histoire : l’intrigue.
L’intrigue, pilier incontournable de toute bonne histoire
Nous aimons tous les histoires. Pourquoi ? Parce que nous voulons découvrir ce qui va arriver. Nous voulons connaître la fin. Nous avons besoin de savoir.
Au début de l’histoire, le lecteur découvre une situation, un univers, des personnages. Mais ce qui lui donnera envie de s’y intéresser, et ce qui le tiendra en haleine tout au long du roman, c’est l’intrigue. Littéralement, ce qui nous intrigue, ce sont toutes ces questions auxquelles nous cherchons une réponse, presque mécaniquement. “Que va-t-il se passer ensuite ?” ; “Pourquoi a-t-elle fait ça ?” ; “Le protagoniste va-t-il s’en sortir ?”
Parmi les conseils glanés lors du stage d’écriture, l’un des plus intéressants tenait en une phrase : « une bonne intrigue est construite sur des “donc”, et pas sur des “et puis” ». Un récit devient prenant tout en demeurant réaliste à partir du moment où les événements s’enchaînent logiquement.
Grâce à ce rapport de causalité, l’écrivain peut jouer avec le lecteur, et le faire avancer vers la fin de l’histoire sans pour autant la révéler trop tôt. En jouant avec le rythme et l’intensité du récit, les indices, les fausses-pistes, les ellipses, les flash-backs et flash-forwards (ou plutôt les analepses et prolepses dans la langue de Molière), l’objectif est de constamment maintenir l’attention du lecteur pour l’accompagner tout au long de la progression dramatique.
Comment forger une bonne intrigue
Il existe de nombreuses manières de construire une intrigue, mais schématiquement, celle-ci peut tenir en 5 points-clés, qui vous rappelleront peut-être vos cours de français :
Situation initiale : un protagoniste (le héros) et un univers autour de lui suffisent à planter le décor de l’histoire. “Au début…”
Élément perturbateur : un événement survient et va bouleverser le quotidien du personnage. “Mais un jour…”
Péripéties : c’est là que le rôle du “donc” est fondamental. Quelle influence de cet élément perturbateur sur le personnage ? Quelles actions cela le pousse-t-il à accomplir ? “Il s’ensuit que…”
Résolution : une issue apparaît pour le personnage et amène l’histoire vers sa conclusion. “Jusqu’à ce que…”
Situation finale : nouvelle forme de stabilité qui apparaît suite aux péripéties et à leur résolution. Cette situation finale est en général caractérisée par la transformation qu’a vécue le héros : sa quête lui a généralement permis d’apprendre ou de trouver quelque chose. “Par conséquent, à la fin…”.
Cette trame d’ensemble permet d’assurer la cohérence de l’intrigue tout au long du roman. Mais dans les meilleurs livres, on retrouve cette même logique au sein de chaque chapitre. Chacune des péripéties qui arrive au héros devient une mini-aventure en soi.
Finalement, pour faire lire un roman de 300 pages à son lecteur, peut-être suffit-t-il finalement de lui offrir dix bonnes histoires de 30 pages qui s’imbriquent les unes dans les autres…
Et l’intrigue de mon manuscrit ?
Lorsque je vous avais partagé mon plan d’action, je vous avais raconté l’historique de ce manuscrit que je retravaille aujourd’hui. Comme tout écrivain novice, c’est un texte dans lequel j’ai toujours placé de grandes espérances.
Ces espérances se sont cristallisées il y a environ un an et demi, lorsque j’ai enfin sauté le pas et envoyé le manuscrit à cinq maisons d’édition. J’en étais arrivé au stade où j’avais besoin de savoir. Une relecture de plus ou de moins ne changerait plus grand chose.
Les semaines ont passé, puis les mois. Deux maisons d’édition ont refusé. Les trois autres n’ont même pas pris la peine de répondre. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce premier contact avec le monde littéraire était un échec cuisant !
Avec quelques mois de recul, j’ai réalisé que le problème n’était probablement pas le style du roman (ou du moins, pas que ça). Non, la cause était -je pense- plus profonde. Elle tenait à la structure même du récit. J’avais écrit cette histoire comme elle venait, sans m’interroger sur son intérêt pour un lecteur potentiel. C’était moi l’auteur, donc ce serait forcément génial, non ? 😎
Dans les faits, je pense avoir été présomptueux quant à ma capacité à éveiller et stimuler l’intérêt du lecteur tout au long des 400 pages que compte cette histoire. Un travail plus profond était nécessaire pour adapter le livre aux standards de l’édition contemporaine, et espérer me démarquer.
Lorsque j’ai participé au stage d’écriture, mon objectif était donc de comprendre ce qui manquait à mon roman, et particulièrement à mon intrigue. Ma première surprise a été de découvrir que peut-être qu’il n’y manquait rien ; peut-être qu’au contraire, il y avait trop de choses.
Réécrire l’intrigue, un défi plus complexe que prévu
C’est en août dernier, lorsque j’ai lancé Un Rêve Un Seul, que j’ai (enfin) recommencé à travailler mon roman. Avec, cette fois-ci, la volonté de m’attaquer tant au fond qu’à la forme. Tâche autrement plus ambitieuse !
Pour cela, l’une des premières étapes a donc été de lister l’ensemble des scènes du roman, dans un simple tableau Excel. Tâche ambitieuse : le manuscrit que j’avais envoyé aux éditeurs comptait 94 scènes, réparties en 16 chapitres.
J’ai ensuite analysé ce que chaque scène apportait à l’intrigue, en essayant d’avoir un œil critique. Mon système d’étiquetage était plutôt simple : qu’elle soit plaisante à lire ou pas, si la scène est un moment-clé de l’intrigue, étiquette “importante”. A l’inverse, si elle ne fait pas avancer l’histoire, étiquette “inutile”. Enfin, si certains éléments sont importants et d’autres moins, ou simplement en cas de doute, étiquette “à voir”.
Résultat de la démarche :
35 scènes “importantes”
44 scènes “à voir”
15 scènes “inutiles”
Avec un exercice qui m’avait pris moins de 2 heures, je venais de réaliser que près de 20% des scènes de mon roman ne faisaient pas avancer l’histoire. D’ores et déjà, la (non-)réponse des éditeurs m’apparaissait plus compréhensible.
Mes premières semaines de réécriture ont donc été consacrées à retravailler en profondeur l’intrigue du roman, et notamment toutes les scènes en “à voir”. Et sans mentir, c’est un travail d’imagination éreintant. Par moments, j’ai l’impression de tenter de résoudre un Rubik’s Cube par la pensée.
A chaque scène que je retire, je dois penser à la progression de l’histoire dans son ensemble, mais aussi prendre en compte la psychologie de chaque personnage et vérifier si son comportement sera crédible par rapport à son arc narratif.
Le champ des possibles est d’une richesse infinie, mais cette richesse est parfois paralysante. Mais cette fois-ci, je préfère me poser les bonnes questions en amont, plutôt que foncer de nouveau tête baissée dans l’écriture. Certains choix sont rudes, mais mieux vaut identifier les incohérences en posant les yeux sur un tableau Excel ou un synopsis de 10 pages, plutôt qu’après 400 pages de relecture.
Cette étape me prend d’ailleurs bien plus de temps que je ne l’avais initialement prévu, et je n’ai toujours pas attaqué la phase de réécriture. Rude constat : un mois après avoir établi mon plan d’action, je suis déjà en retard. Mais ça va, je le vis plutôt bien : j’avais -heureusement- prévu un peu de marge. J’ai encore un peu de temps pour réussir à trouver une structure qui me plaise.
Comme disait Alexandre Souvorov, l’un des plus grands généraux de l’histoire russe : « Ce qui est difficile pendant l'entraînement sera facile pendant la bataille ».
Allez, il est temps de reprendre l’entraînement. Le compteur tourne !
J-219.