🦹 J+985 - À tout héros, il faut un ennemi...
Ou comment enrichir son intrigue en construisant un bon adversaire.
Bonjour bonjour, 66ème édition !
Mon nouveau manuscrit avance bien ces temps-ci, à coups d’allers-retours entre phases de planification scénaristique et sessions d’écriture du premier jet. Je suis bien aidé par mon livre de chevet du moment : Anatomie du scénario de John Truby, ouvrage souvent cité comme LA bible pour écrire une bonne histoire.
Les conseils les plus utiles que j’y ai glanés pour l’instant sont consacrés aux personnages. Dans les bonnes histoires, il y a un bon héros. Dans les excellentes histoires, il y a un bon héros ET un bon adversaire. C’est à ce dernier qu’on s’intéresse aujourd’hui. Bonne lecture !
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Que serait Batman sans son adversaire iconique, le Joker ?
À quoi sert un bon adversaire ?
Dans la dernière édition, nous avions parlé de la prémisse, une phrase qui contient toute l’essence de l’histoire et en guide le développement. Un personnage principal (héros) veut atteindre un objectif, et va se transformer au fil de sa quête. Or, notre héros va rencontrer des obstacles sur son chemin. Dans les bonnes histoires, tous ces obstacles peuvent être reliés à un adversaire.
S’il y a un adversaire, il y a du conflit. S’il y a du conflit, les enjeux augmentent. Et plus les enjeux augmentent, plus l’intrigue est prenante. C’est plus fort que nous : on veut toujours savoir qui va gagner à la fin.
La confrontation avec l’adversaire oblige le héros à traverser des épreuves de plus en plus difficiles. Ces épreuves lui permettent d’apprendre et de se transformer. Bref, le héros et l’adversaire ont beau être opposés, ils sont aussi dépendants l’un de l’autre.
Le problème classique des adversaires
L’adversaire n’est pas toujours pensé comme faisant partie intégrante de l’histoire… Et c’est ce qui peut donner lieu à trois grands écueils.
1. Ne pas avoir d’adversaire
Certaines histoires ne comportent pas d’adversaire du tout. L’intrigue peut-elle fonctionner dans ce cas-là ? À en croire Truby, la réponse est catégorique : non. Pour que sa quête soit intéressante, le héros a besoin de lutter contre quelque chose ou quelqu’un. Plus vous avez une vision claire de ce contre quoi se bat votre personnage (et pourquoi), plus l’intrigue sera riche.
En revanche, je trouve la vision de Truby trop tranchée sur un point en particulier : selon lui, l’adversaire doit à tout prix être un personnage physique, auquel le héros va se confronter à un moment ou à un autre. Pourtant, certaines histoires me semblent très bien fonctionner sans ça : par exemple, dans Seul au monde, Tom Hanks échoue sur une île déserte et doit tenter de survivre par tous les moyens. Ses adversaires sont un environnement inhospitalier, la solitude et le désespoir, mais pas une personne physique.
2. Avoir un adversaire peu clair
Attention néanmoins à avoir une idée précise de l’adversaire principal. Une erreur classique est de créer un adversaire peu ou mal défini : dans ce cas, le héros affronte bien quelque chose, mais on ne sait pas vraiment qui ou quoi. L’histoire comporte des obstacles, des épreuves et des péripéties, mais le fil conducteur manque entre ces différents éléments, donnant une impression globale d’inertie.
Dans l’exemple ci-dessus, on peut considérer que Tom Hanks est son propre adversaire tout au long du film, lorsqu’il doit déployer des ressources de plus en plus conséquentes pour lutter contre sa propre envie de renoncer et d’abandonner.
3. Avoir un adversaire caricatural
Enfin, attention au dernier écueil : construire un adversaire caricatural. Le héros est gentil et défend le camp du bien ; alors, l’adversaire est méchant et défend le camp du mal. C’est souvent le cas dans les contes pour enfants, dans les mythes et dans les récits fantastiques : pensez à la figure de la sorcière, du diable ou du seigneur du mal. Ça fonctionne, car l’adversaire est puissant… Mais il peut aussi manquer de relief. Le méchant est méchant, car… Il aime le mal. Ok.
Comment créer un adversaire qui fonctionne ?
Pour doter votre récit d’un adversaire qui soit efficace, bien défini et pas caricatural, il existe une méthode simple : s’assurer que votre adversaire poursuive le même objectif que le héros.
D’abord, cette méthode permet de donner de la profondeur à votre adversaire. Il n’est pas méchant gratuitement : il agit ainsi parce que, lui aussi, il mène sa propre quête. Il a donc des motivations qui lui sont propres, et qui le mènent à considérer que ses actions sont justifiées. Ces différences morales donnent beaucoup plus de profondeur aux personnages et à l’histoire dans son ensemble.
Comparons deux figures maléfiques très connues : dans Le seigneur des Anneaux, Sauron, le seigneur des ténèbres, souhaite dominer le monde pour… le plonger dans les ténèbres. Bien bien bien.
En revanche, dans Star Wars, Anakin Skywalker nous est présenté comme un héros qui souhaite faire régner la paix dans la galaxie… Poursuivre son utopie par tous les moyens l’amènera à fonder un empire où l’ordre est garanti, au prix de l’oppression des plus faibles. C’est ainsi qu’il devient Dark Vador, le redoutable seigneur du mal qui traque les rebelles et massacre sans pitié toute forme de dissidence.
Dark Vador a quand même plus de profondeur que Sauron, non ? (aïe aïe aïe, je crains un débat passionné en commentaire)
En faisant en sorte que le héros et son adversaire poursuivent le même objectif, on rend l’affrontement inéluctable : un seul des deux pourra atteindre son but. Et dans cette quête, tous les coups sont permis : l’adversaire sera d’autant plus réussi s’il attaque en permanence la faiblesse du héros, l’obligeant ainsi à se transformer pour la surmonter… ou à être détruit.
Conclusion
Construire un bon adversaire est au moins aussi difficile que construire un bon héros. Mais on commence à avoir l’habitude maintenant : il y a beaucoup de choses difficiles dans le fait d’écrire un livre 😅
Certains adversaires iconiques ont marqué l’histoire de la littérature et du cinéma : Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux, le Joker dans Batman, le comte Dracula…
De mon côté, je me suis beaucoup interrogé sur qui était le meilleur adversaire dans la nouvelle histoire sur laquelle je travaille depuis le début de l’année. Même si je n’ai pas d’adversaire physique, les conseils de Truby m’ont aidé à prendre de la hauteur sur mon texte et à enrichir tant le personnage principal que ses antagonistes. Je ne peux que vous encourager à faire de même, et à prendre le temps de bien définir contre qui se bat votre héros !
Je vous retrouve dans deux semaines, pour faire le bilan après (presque) 1000 jours d’écriture… Déjà !
J+985.
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Bravo 👏 le mieux est ensuite le gentil pas si gentil que ça et le méchant pas si méchant que ça 😄😉
Bonjour Alexandre,
Merci pour cet article très clair, comme à chaque fois.
Je ne partage pas non plus l'avis de Truby sur l'antagoniste. Il est trop catégorique (comme souvent).
=> Tout d'abord, la nécessité d'un antagoniste n'est perçue que dans la culture occidentale, et encore plus au cinéma qu'en littérature. Dans un roman japonais, on peut n'avoir aucun antagoniste, aucun conflit, aucun climax... et ça plaît quand même.
=> Quand Truby dit qu'il faut un antagoniste humain ou en tout cas intelligent pour qu'il puisse réagir aux actions du protagoniste et changer ses plans, c'est évidemment efficace (et ce serait une cause de fermeture du roman si je lisais quelque chose où l'un des héros ne tient aucun compte des faits nouveaux qui se produisent, ce serait absurde), mais il a tort de dire que le reste ne peut pas fonctionner. La nature, mais aussi une machine peut jouer le rôle d'antagoniste : ce qui empêche le protagoniste d'atteindre son objectif. Comme dans Appolo 13, l'antagoniste est la capsule qui a des défaillances et qui empêche les astronautes de rentrer sur Terre (pendant un temps). Dans Seul sur Mars, l'antagoniste principal, c'est la planète, même si dans le scénario on a ajouté des péripéties liées aux chefs sur Terre (peut-être à cause de Truby), ce n'est pas le problème principal que le héros rencontre.
=> Enfin, Truby dit que l'antagoniste et le protagoniste doivent avoir le même objectif pour que ce soit vraiment conflictuel, donc qu'un seul des deux puisse l'atteindre. Oui cela fonctionne, mais là encore, ce n'est pas indispensable, c'est juste plus facile à réussir. Il faut au moins que les actions de l'un gênent celles de l'autre et vice versa, sinon les deux n'ont rien à faire dans le même roman. Mais rien n'empêche que les deux atteignent leur objectif, ou un objectif modifié, en fin de récit.
De plus, Truby tord son argumentaire de façon artificielle pour essayer de le rendre général, en expliquant qu'un criminel et un policier ont le même objectif ! Non, je ne suis pas d'accord. Ils ont la même cible (le crime commis), mais des objectifs opposés : l'un veut le cacher, l'autre le découvrir.
Avoir la même cible, vraiment, mais utiliser des méthodes incompatibles (par conviction, par nécessité technique ou par la personnalité) c'est bien plus fort que l'opposition policier / criminel. Vouloir sauver l'humanité, dans un cas en supprimant 90 % des gens pour que les autres puissent survivre, dans l'autre cas en s'évertuant de sauver le maximum de gens malgré les difficultés prévisibles, c'est un exemple vu dans un Marvel pas très ancien. Vouloir supprimer une hérésie, soit en prêchant longtemps et en convainquant peu à peu les hérétiques, soit en exterminant à tout va et en peu de temps, c'est encore un autre exemple (l'histoire humaine contient des exemples réels de ces deux situations). Vouloir sauver un pays de la décadence en soutenant la démocratie ou en imposant une dictature, encore un autre exemple d'objectifs identiques mais de méthodes incompatibles. Plein d'autres exemples existent et sont intéressants à traiter !